Georges Banu était une mémoire vivante du théâtre, que nous perdons avec lui. Il nous reste ses essais, ses articles, et les nombreux souvenirs d’échanges passionnants. Il avouait avoir eu une expérience désastreuse du plateau en tant qu’acteur. « Je ne suis pas l’homme du re-faire », disait-il. C’est fort de cette constatation qu’il a construit son devenir de critique, à la juste place de celui qui pense dans l’admiration des créateurs, auprès d’eux. Une leçon pour les critiques. Lorsque je me lançais dans ma thèse sur l’œuvre de Wladyslaw Znorko, c’est précisément Znorko qui m’a conseillé de m’adresser à lui pour la diriger. Ceci n’est pas anodin : l’artiste faisant l’éloge du critique. Et ils ont été tant à faire son éloge. Très tôt Antoine Vitez ou Jerzy Grotowski, mais encore Peter Brook, Krzysztof Warlikowski, Stanislas Nordey, Thomas Ostermeier, Wajdi Mouawad……………
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The rest is silence, le départ d’Horatio
HOMMAGE A GEORGES BANU
Mes premiers souvenirs avec Georges Banu sont d’abord ceux d’une étudiante. J’ai eu la chance de l’avoir comme professeur en licence et en master d’études théâtrales à la Sorbonne-Nouvelle. C’était à la fin des années 2000. Une époque où les smartphones ne concurrençaient pas encore les profs et où nous écrivions nos cours à la main. Nous passions des heures à écouter cet homme aux allures de Maître Hibou (le célèbre habitant de la forêt des Rêves bleus) nous raconter passionnément Peter Brook, ressusciter le Mahabharata ou nous faire courir aux Bouffes du Nord un dimanche après-midi par grand soleil pour découvrir la Flûte enchantée du grand metteur en scène anglais, dont il accompagna toute sa vie le travail. La reine de la Nuit était Noire, les Iks de l’Ouganda blancs. Nous plongions dans la magie du théâtre en compagnie de cet Horatio sensible, dont les cours étaient un savant mélange d’érudition et d’observation, d’anecdotes vécues ou entendues et d’un je-ne-sais-quoi de savoureux qui tenait beaucoup à ce qu’aucun cours ne ressemblait au précédent. Un parfum de soufisme flottait parfois dans la salle. Et les yeux pétillants, notre prof à l’accent roumain si chantant prenait un plaisir d’artiste à nous émerveiller.
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HOMMAGE À GEORGES BANU
Un texte de Bernard Debroux, in Les voyageurs du théâtre, coédition Alternatives théâtrales/ Institut de recherche en études théâtrales de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3, février 2013
Mon enfant ma sœur, songe à la douceur d’aller là-bas vivre ensemble…
Baudelaire, L’invitation au voyage
Il fut un temps, pas si lointain, où le théâtre était avant tout l’expression d’une communauté. Il lui renvoyait, comme dans un miroir, ses déchirements et ses errances, ses interrogations et ses espoirs, histoires de guerres et d’amour, parfums d’enfance et fuite du temps.
En même temps, le théâtre est, depuis toujours itinérant. Les créations se transportent d’un lieu à un autre, élargissant le cercle des spectateurs. Ces migrations ont influencé l’art du théâtre. Qu’on ne prenne pour seul exemple que le voyage en Europe de l’Ouest du Berliner Ensemble en 1954 et la secousse qu’il produisit alors, en France notamment. C’est à partir de là que la pensée brechtienne se répandit comme une traînée de poudre. Même ceux qui n’avaient pas vu Mère Courage étaient hantés par les photographies d’Hélène Weigel, la bouche ouverte dans un cri «muet» d’effroi.
Un peu partout en Europe ces visites décloisonnaient un théâtre replié sur lui-même, influençait ses valeurs, son esthétique et sa pensée.
Ces rencontres étaient rares. Si leur impact était sensible, c’était dans un rythme calme, un processus lent, une appropriation raisonnée.
Aujourd’hui nous sommes dans un tout autre cas de figure. La capacité de voyager a bousculé en profondeur l’art du théâtre. Ce ne sont plus seulement des tournées de spectacles étrangers qui sont proposées aux publics des théâtres. Tout le monde voyage : les artistes comme les publics. Les artistes collaborent, venant de territoires différents. Ils se mesurent, parfois se rejoignent dans des œuvres singulières, nées de leurs différences.
Phénomène propre à ces trente dernières années : l’explosion des festivals. Longtemps en France, il n’y eut de festival que celui d’Avignon et celui à Paris du théâtre des Nations, et après lui le festival d’automne, auxquels vint se joindre le festival de Nancy.
Aujourd’hui, presque chaque ville en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique revendique son festival et ouvre ses portes aux spectacles du monde. Même phénomène en Europe centrale et orientale, en Russie, pour ne pas parler du reste du monde.
Le voyage, c’est aussi la rencontre et l’adaptation des esthétiques. Parmi les exemples célèbres, les traditions orientales chez Ariane Mnouchkine et celles de l’Afrique chez Peter Brook, pour ne citer que les plus emblématiques.
Mais ce fut aussi l’influence de la «dramaturgie» allemande chez Jean- Pierre Vincent ou Patrice Chéreau en France, Marc Liebens, Philippe van Kessel et Philippe Sireuil en Belgique.
Georges Banu naît en quelque sorte à la critique au moment de cette explosion. Voyageur infatigable – y a-t-il quelqu’un qui dans le monde du théâtre avale plus de kilomètres que lui dans une année ? – il a été en première ligne de ces découvertes, ces étonnements,ces influences.
Pour avoir parfois voyagé avec lui ou pour l’avoir écouté au retour de ces pérégrinations, je le qualifierais volontiers de voyageur de l’émotion. Qu’il se rende à un festival en Europe ou en Amérique, son voyage est un mélange de proximité avec la chose artistique et la découverte de l’autre, de l’étranger. Il marche dans la ville (parfois tôt le matin ou tard le soir), envoie des cartes postales à des amis, toujours signifiantes d’un souvenir ou d’un projet, parle avec les gens (chauffeurs de taxi, antiquaires, garçons de restaurant), tachant de superposer l’air du temps et le spectacle du soir.
Ces voyages du théâtre dans le monde, Georges en a fait profiter la revue Alternatives théâtrales dans des numéros devenus célèbres : Le but et ses fantômes, Le théâtre au Portugal, Le théâtre de l’Hispanité, L’Est désorienté, La Scène Polonaise, Le théâtre au Japon, La Scène Roumaine… la revue l’ayant parfois précédé dans cette voie (Théâtre Contemporain en Europe, Les Américains par eux-mêmes) mais lui a surtout emboîté le pas : Théâtre en Suisse Romande, Canada 86, Théâtre d’Afrique noire, Théâtre à Berlin, Théâtre au Chili. Les titres mêmes de certains numéros s’inscrivent dans cette préoccupation : Aller vers l’ailleurs, territoires et voyages…
Il est d’autres voyages dont Georges a été le témoin et dont il a fait partager la revue, ce sont ce qu’on pourrait appeler les voyages du sensible, les glissements des disciplines artistiques les unes dans les autres, les thématiques qui voyagent et traversent le répertoire d’un moment particulier : le théâtre testamentaire, le théâtre de la nature, le théâtre dédoublé, les liaisons singulières, le corps travesti, extérieur cinéma, côté sciences... Il s’agit là de voyages à l’intérieur même du théâtre, pendant nécessaire à l’exploration d’autres univers artistiques et culturels qui se développent ailleurs dans le monde.
D’où vient à Georges cette disposition d’explorateur qui le fait voyager depuis tant d’années ? Je n’aurais pas la prétention de répondre entièrement à cette question qui offre des réponses multiples.
Il y a sans doute cette double appartenance culturelle qui lui a permis de comprendre très tôt les avantages qu’il y a à scruter l’âme humaine à partir de postes d’observation différents. Il y a du déchirement à se partager entre deux patries. Il y a aussi de la douceur à vivre à chaque retour les affections retrouvées.
Oui, alors…. (Petite pièce en un acte)
HOMMAGE A GEORGES BANU par Serge Saada. Texte traduit en roumain et publié dans Secolul 21 Bucarest, George Banu, contemporanul Nostru, 2020, Serge Saada.
Deux amis discutent à la sortie d’un théâtre…
SERGE
Je l’ai bien vu, je crois que tu n’as pas tout aimé du spectacle
GEORGES
C’est un beau spectacle mais les seaux d’eau renversés à la fin, c’est inutile
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Georges Banu nous a quittés ce vendredi 20 janvier 2023.
Avec ses nombreux amis d’Alternatives théâtrales, d’hier et d’aujourd’hui, nous n’arrivons pas y croire.
Il était si actif il y a encore quelques jours, fatigué certes, mais enthousiaste et gourmand, plein de projets d’articles pour nos publications à venir sur le Cabaret, Théâtre et paysage…
Nous publierons dans le prochain numéro, ARTS VIVANTS : MARIONNETTE, CIRQUE, CREATION DANS L’ESPACE PUBLIC, un de ses beaux textes intitulé « Formes orphelines » (N° 148 d’Alternatives théâtrales à paraître en février 2023).
Vous trouverez ci-dessous des extraits d’un texte qu’il m’avait demandé d’écrire, sur lui et pour lui, paru dans un ouvrage publié en Roumanie en 2020.
Nous publierons dans les jours qui viennent des textes d’amitié et d’hommage de la tribu Alternatives théâtrales, et republierons de nombreux textes brillants et poétiques de Georges, écrits depuis quatre décennies.
Il va énormément nous manquer.
Nous pensons à sa femme Monique, à tous ses proches, au monde entier du théâtre qui perd un ami et un très grand penseur des arts de la scène.
Sylvie Martin-Lahmani, Directrice éditoriale et toute l’équipe d’Alternatives théâtrales
Continuer la lecture « IMMENSE TRISTESSE. »HOMMAGE À FRANÇOIS TANGUY – Décédé le 7 décembre 2022 à l’âge de 64ans
Metteur en scène du Théâtre du Radeau et fondateur et de la Fonderie au Mans, avec Laurence Chable, ce grand homme de théâtre n’a eu de cesse, depuis les années 80, de créer des formes scéniques incomparables, empreintes de grâce et de poésie, des « mouvements » dont le souvenir persistant accompagne durablement ses spectateurs ; et de prendre part, aussi, à la Fonderie, aux combats et aux veilles éthiques et politiques de son temps.
Sa dernière création Par autan était à l’affiche du Festival d’Automne et aurait dû être jouée au Théâtre de Gennevilliers du 8 au 17 décembre.
Nous pensons à ses proches.
Sylvie Martin-Lahmani, directrice éditoriale, et toute l’équipe d’Alternatives théâtrales
Continuer la lecture « HOMMAGE À FRANÇOIS TANGUY – Décédé le 7 décembre 2022 à l’âge de 64ans »Peter Brook – « Merci à la vie »
Peter Brook s’est éteint telle une bougie qui se meurt lentement, longtemps, et dont la fin sans drame procure la réconciliation avec l’ordre du monde. Mes dernières rencontres avec lui me le révélaient différent car s’il avait perdu l’énergie d’autrefois il se montrait plus affectueux que jamais. Son regard était lumineux et son sourire d’une tendresse infinie. Il se préparait et acceptait la perspective de la fin. Et cela ne pouvait qu’apaiser les amis qui l’entouraient sur un fond nostalgique de ce qu’il avait été.
Continuer la lecture « Peter Brook – « Merci à la vie » «Vues sur le mont… Jean-Claude Carrière
Point de reconstitution intégrale de ce paysage au relief varié que fut la vie de Jean-Claude Carrière tant évoquée après sa disparition. Mais, pour paraphraser le titre d’une célèbre toile de Hokusai, Vue sur le mot Fuji, seulement quelques vues sur « la montagne Carrière » obtenues grâce à la proximité, par éclipses, que j’ai entretenue avec lui. L’instant biographique vaut autant que le parcours panoramique : c’est une question de choix. Le myope et le presbyte voient des choses différentes mais l’essence de ce qu’ils parviennent à examiner ne diffère pas.
Continuer la lecture « Vues sur le mont… Jean-Claude Carrière »Hommages à Ludwik Flaszen
Ludwik Flaszen: Farewell to a Totem Ludwik Flaszen, one of the founders of the theatre awareness in our times, died in Paris yesterday, Saturday 24 October 2020. In 1959, this courageous and renowned critic was nominated literary director of the small provincial Teatr 13 Rzedów in Opole, Poland. He chose as artistic partner an unknown 26-year-old director who had still not finished theatre school: Jerzy Grotowski. Together, in a few years, they changed the essence of theatre through their practice and writing. Ludwik Flaszen believed in a “theatrical” theatre and was the first to write about a “poor theatre” in reference to Grotowski’s performance Akropolis. Most of all he was a free, defiant spirit. Grotowski liked to call him his “devil’s advocate”. When Grotowski left Poland in 1981, Ludwik continued the activity of the theatre in Wroclaw until its closure in 1984. Then, he moved to Paris, continuing to collaborate with the Grotowski Institute in Wroclaw at regular intervals. Ludwik has been a mentor and a guide for many actors and directors in many parts of the world. Until recently, in the encounters with the younger generations, he was a captivating speaker, stimulating curiosity and questions. For me, who met him daily from 1961 to 1964 and often until a few months ago, he was more than an inspiration. I called him “rabbi”, the wise who knows the worth of the Word and Action. Now Ludwik is together with his accomplice Jerzy. Both continue to live in my heart. Eugenio BarbaContinuer la lecture « Hommages à Ludwik Flaszen »
Hommage à Frie Leysen
Frie Leysen, fondatrice du Kunstenfestivaldesarts et figure emblématique des arts de la scène en Belgique et dans le monde, s’est éteinte le 22 septembre 2020. Lissa Kinnaer, qui a dirigé le Réseau des arts à Bruxelles et travaille aujourd’hui pour le Kunstenpunt, lui rend hommage.
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