Pietro Pizzuti, acteur, auteur et metteur en scène belgo-italien, fête cette année ses quarante ans de « scène ». Pierre Mertens, à l’occasion de la remise du Prix Italiques 2016, a écrit de lui : « Pour Pietro, l’autre est toujours fondamental, la rencontre avec celui-ci ».
Peut-être est-ce pour cela qu’il s’est mis aussi à traduire, acte de transmission par excellence de la pensée d’autrui exprimée dans une autre langue.
Le Projet du traducteur réalisé par Gaëlle Courtois (42 min, Bruxelles, 2017) met en lumière cet aspect moins connu de son travail, autour de la transmission en français de l’oeuvre de Stefano Massini, pour lequel il dit avoir eu un véritable coup de foudre. On le voit traduire à voix haute, en plein air, dans une petite ville historique du Salento, dans le sud des Pouilles ; articuler, triturer les mots, jouer déjà, prendre possession de la chair du texte et tenter d’en rendre l’oralité dans la langue d’arrivée. Pietro le dit lui-même: « quand je lis l’italien j’entends le français que je voudrais écrire ».
Le film se structure autour de trois pièces de Stefano Massini, successeur de Luca Ronconi au Piccolo Teatro de Milan, auteur profondément engagé dans les questions d’actualité. Il s’ouvre sur une scène de Femme non-rééducable, mémorandum théâtral sur Anna Politkovskaïa dans une mise en scène de Michel Bernard avec Angelo Bison et Andrea Hannecart (1), une pièce qui évoque l’extraordinaire et courageux travail d’enquête de la journaliste russe sur les massacres perpétrés durant la guerre de Tchétchénie. Il poursuit avec un extrait de Terre noire monté par Irina Brook au Théâtre national de Nice avec Babetida Sadjo, Pitcho Womba Konga, Romane Bohringer, Hippolyte Girardot et Jeremias Nussbaum, qui dénonce l’exploitation des petits propriétaires sud-africains et les pressions qu’ils subissent par les grands groupes agro-alimentaires. Il se termine sur d’exceptionnelles images de répétitions de Lehman Trilogy monté par Lorent Wanson (2), au Rideau de Bruxelles, où Pietro Pizzuti joue lui-même aux côtés d’Angelo Bison et Iacopo Bruno.
Il est fascinant d’y voir évoluer le travail solitaire du « traduc-acteur » jusqu’au moment du partage de ces mots consciencieusement choisis. Où le vase communicant auteur-traducteur passe la dernière étape, celle de la « mise en vie » du texte sur un plateau, à travers d’autres voix, d’autres gestes.
Comment un traducteur parvient-il à lâcher « son » texte aux mains d’un.e autre, à livrer son interprétation à l’élucidation de l’autre? Et, dans le cas de Pietro, à se replacer comme « simple » acteur, acceptant humblement les coupes ou les modifications du metteur en scène ?
Si la traduction est bonne, le matériau n’aura pas de mal à passer de mains en mains, de bouches en bouches, de plateau en plateau.
À signaler aussi, le film d'Henry Colomer: Des Voix dans le choeur, éloge des traducteurs, qui met en lumière le travail de Sophie Benech, Danièle Robert et Michel Volkovitch.
Le Projet du traducteur a été projeté le 29-1-2018 à l'Istituto Italiano di Cultura de Bruxelles. Les textes de Stefano Massini sont publiés par l’Arche principalement dans les traductions de Pietro Pizzuti ; O-dieux a été traduit par Olivier Favier et Federica Martucci. Cages (trilogie) a été traduit par Gloria Paris et Yannic Mancel.