Une écriture scénique émancipée

À propos d’ « Espæce » d’Aurélien Bory

Plusieurs mois après sa création à l’Opéra d’Avignon, j’ai découvert Espæce d’Aurélien Bory à l’Hippodrome de Douai. Le titre contracté est un mot-valise qui traduit pour la scène, comme l’ensemble du projet, celui de Georges Perec, Espèces d’espaces, ce subtil essai introspectif consacré à la place du sujet, du moi, de l’individu dans les espaces qu’il habite ou qu’il traverse. “Vivre c’est passer d’un espace à l’autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner”, précise le malicieux auteur oulipien de La Vie mode d’emploi et de La Disparition dans les dernières lignes de son avant-propos. Continuer la lecture « Une écriture scénique émancipée »

Au Seuil du mal

Dans « Lus » du Teatro delle Albe, le spectateur vit une transgression inexplicable – un choc pour l’homme éclairé.

Texte publié dans Theater der Zeit, septembre 16

C’est une histoire vraie, venue d’un petit village d’Emilie-Romagne dans l’Italie de la fin du XIXe siècle ; l’histoire de Bêlda, une femme rejetée et moquée, que l’on prend pour une sorcière. Continuer la lecture « Au Seuil du mal »

À l’écoute d’ « Une Chambre en Inde » au Théâtre du Soleil 

Évocation du dernier spectacle d’Ariane Mnouchkine, avec le compositeur Jean-Jacques Lemêtre

Décembre 2016, Cartoucherie de Vincennes. Nous sommes dans Une chambre, en Inde. Pourtant, de cette Inde, nous glissons très rapidement vers le Japon, la Syrie, l’Arabie Saoudite ou encore l’Islande, comme un point d’ancrage aux multiples fenêtres pour dire le monde contemporain et son chaos. A l’issue d’une représentation, Jean-Jacques Lemêtre, fidèle compagnon de route du Théâtre du Soleil depuis 1979, m’accueille dans son atelier pour m’y conter le processus de création et sa démarche musicale.

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Scènes de femmes polonaises

À l’occasion du portrait consacré à Krystian Lupa dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, l’Institut Adam Mickiewicz propose une exploration du paysage artistique polonais, en s’intéressant au parcours de cinq « Fatherkillers ». Ces tueuses de pères, pour reprendre l’expression de Piotr Gruszczynski dans son livre sur la scène polonaise à la fin du XXe siècle, sont des metteuses en scène et/ou dramaturges qui comptent aujourd’hui en Pologne. Dans le sillon (mais pas dans l’ombre) de quelques pères de théâtre comme Krystian Lupa ou Krzysztof Warlikowski, ces jeunes femmes ont trouvé un langage artistique personnel et original.

Nous vous invitons à les découvrir les 15 et 16 décembre à la Galerie HUS (Paris), à deux pas du Théâtre des Abbesses.

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Les clameurs oubliées de « Place des héros »

Critique du dernier spectacle mis en scène par Krystian Lupa, actuellement au Festival d’Automne à Paris.

Dans le cadre du portrait Krystian Lupa proposé par le Festival d’Automne à Paris cet automne, le metteur en scène polonais s’empare de la dernière pièce de Thomas Bernhard, Place des héros, pour interroger « ce qui entraîne chez un individu et une communauté d’individus […] le besoin de chercher et de se donner un objet de haine »¹. Un spectacle « bourgeophage » d’une violence acerbe qui révèle des acteurs lituaniens à l’interprétation magistrale. Continuer la lecture « Les clameurs oubliées de « Place des héros » »

Un festival de films sur l’art à Bruxelles : le BAFF

À propos du film sur l’Art et du lauréat 2016 du Prix Découverte du BAFF : « Trust in me »

Du 17 au 20 novembre dernier, j’ai été invitée à participer au jury du Brussels Art Film Festival (BAFF), organisé par Sarah Pialeprat (directrice du CFA – Centre du Film sur l’Art) et Adrien Grimmeau (commissaire d’exposition et programmateur du festival pour l’Iselp – Institut supérieur de l’étude du langage plastique) en partenariat avec l’Iselp, la Cinematek et Bozar. Continuer la lecture « Un festival de films sur l’art à Bruxelles : le BAFF »

Des valses données dans un avion

En juillet 2005, à l’occasion du Festival d’Avignon dont Jan Fabre était l’artiste associé, Alternatives théâtrales publiait dans son numéro 85-86 (épuisé depuis) un entretien avec Krzysztof Warlikowski.

Piotr Gruszczynski : Lors de la première de KROUM, tu as donné une interview au cours de laquelle tu as dit : « Je ne sais pas si avec KROUM, je ne me détourne pas de ces feux sacrés dont je brûlais durant ces cinq, six dernières années.» C’est une phrase très forte. Signifie-t-elle la fin de la révolte dans ton théâtre ?

Krzysztof Warlikowski : Le théâtre appartient aux jeunes metteurs en scène, à ceux qui l’abordent pleins d’impétuosité et dont l’énergie emmagasinée s’exprime dans les premières réalisations. L’homme mûr commence un peu plus à calculer, à aller dans le sens de la réflexion, à mettre de l’ordre dans ses pensées. Continuer la lecture « Des valses données dans un avion »

« Les Français » de Krysztof Warlikowski, une installation proustienne intime et politique 

Retour sur le spectacle présenté actuellement au Théâtre National de Chaillot.

« Proust est immontable¹ » affirmait il y a peu Warlikowski. Nombreux en effet furent les artistes (Visconti d’abord, puis Losey et Pinter, par exemple) qui se passionnèrent pour un projet d’adaptation de la Recherche du temps perdu avant d’y renoncer. Le metteur en scène réalise ici non pas une adaptation de la Recherche du temps perdu mais une installation proustienne. Il insiste sur un point sensible : il s’agit de sa perception de l’œuvre de Marcel Proust, d’où le titre retenu et la langue choisie pour le spectacle. Une expérience personnelle et subjective de lecteur qui rencontre une volonté politique et esthétique audacieuse, se servir d’un texte majeur de la littérature, le circulaire roman du temps dans lequel « Marcel devient écrivain », pour reprendre la formule de Genette, en s’éloignant du thème de l’écriture.

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Voyages théâtraux à l’Est

Lodz, Varsovie, Belgrade, Sarajevo, Bucarest, Prague, Budapest : Georges Banu revient sur ses récents voyages à l’Est.

Le « Mur » ou le « rideau de fer » ne se sont pas effacés suite au vent de l’histoire qui les a emportés en 89 , presqu’en hommage au bicentenaire de la Révolution française qui avait posé les bases de la démocratie européenne. Cette coïncidence symbolique fascine car il est difficile de croire à l’exercice d’un simple hasard : qui a décidé que deux cents ans plus tard, la Prise de la Bastille allait être fêtée par la Chute du communisme ? La question reste ouverte, trouvera-t-elle réponse un jour ? Faible espoir !

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