La beauté d’Antigone entre Orient et Occident

Bernard Debroux a vu le spectacle d’ouverture du 71e Festival d’Avignon.

"Antigone", mise en scène Satoshi Miyagi. Photo Christophe Raynaud de Lage.

La cour d’honneur du Palais des Papes au festival d’Avignon n’aura jamais fini de nous révéler ses mystères et ses potentialités artistiques.

À chaque fois, en y pénétrant, on est saisi d’une émotion différente.

Cette fois, en 2017, le metteur en scène Satoshi Miyagi a choisi de couvrir la vaste cour d’honneur d’une eau sombre. Cette eau, c’est l’Achéron, qui sera l’élément central de sa mise en scène d’Antigone. Frontière entre notre monde et l’au-delà, c’est cet élément liquide qui saisit le spectateur ; des acteurs, tout de blanc vêtus s’y meuvent tout en douceur, en faisant résonner à l’aide de leurs doigts qui glissent sur le pourtour de petites bougies de verre, un son qui se déploie imperceptiblement et qui annonce un étirement du temps qui sera au coeur de la représentation.

Après un prologue où l’histoire et les enjeux de la tragédie de Sophocle sont présentés sur un mode léger, la prononciation en français des acteurs japonais accentuant la connivence qui va s’établir d’emblée avec les spectateurs, on est projeté vers l’issue inéluctable à laquelle seront amenés les protagonistes – et aussi nous tous qui sommes mortels – : une barque traverse lentement la surface liquide. Ce n’est pas Charon (celui qui dans la mythologie grecque avait pour tâche de faire traverser les marais de l’Achéron dans sa barque aux âmes des défunts qui avaient reçu une sépulture), mais un moine bouddhiste qui conduit l’embarcation. Il est étrangement calme, mais on sait aussi que rien ni personne ne pourra échapper au destin de l’aventure humaine.

L’action peut ensuite débuter. Elle se concentre dans un affrontement entre le bien et le mal qui n’apparaît pas de manière univoque mais qui est assumé et défendu par chacun des principaux protagonistes. Le choix du metteur en scène de dédoubler les acteurs principaux – Antigone, Créon, Hémon, Ismène, permet de dissocier les voix et les corps. Cette démarche crée une tension entre le discours et sa représentation corporelle. Ce déploiement de la narration est accentué par les ombres immenses projetées sur le mur du Palais et trouve aussi sa résonance dans la musique et les percussions qui ont une présence déterminante tout au long du spectacle. Tout comme la reprise par le choeur des répliques des personnages. Cet enchevêtrement des éléments de la représentation va progressivement mettre à distance le récit de Sophocle et la question centrale qu’il traite : l’affrontement entre la liberté individuelle et affective d’Antigone face à la raison d’État pour entraîner le spectateur vers une réalité plus universelle. C’est aussi le parti choisi par le metteur en scène: proposer une « voix collective » en opposition à l’égo moderne.

Ce qui se joue à travers toutes les situations et les aléas des existences humaines, c’est d’arriver à vivre dans la dignité face au destin et à la mort inéluctable.

C’est sans doute pour cela que nous touche cette beauté qui naît des rythmes fougueux des percussions en opposition avec la démarche calme et maîtrisée des acteurs qui se déplacent dans une douceur de mouvement à peine troublée par le vent qui fait flotter légèrement leurs vêtements.

Charon/Bouddha revient sur sa barque à la fin de la représentation : il dépose sur l’eau de petites bougies qui glissent légèrement sur la surface de l’eau. Elles s’éloignent peu à peu et représentent, pour Satoshi Myagi, les âmes des morts.

C’est à un rituel que l’on assiste, celui de la rencontre de deux grandes traditions – Orient et Occident- qui se conjuguent dans un théâtre à mille lieues de l’agitation des temps présents et qui, indispensable, n’en finit pas de résister à l’air du temps.

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