Marcel Bozonnet – prix du meilleur acteur européen

À l’occasion du prix international remis récemment à Marcel Bozonnet, Georges Banu retrace ici le parcours de l’acteur.

Macédoine, le 2 juillet 2017

Un prix comme celui-ci accordé à un acteur d’exception ne peut saluer seulement sa présence dans le théâtre mais également ce qu’il a fait pour le théâtre, au-delà de ses apparitions sur la scène. C’est le cas de Marcel Bozonnet qui a été élu parce que acteur et plus qu’acteur : il incarne pour la scène française et européenne une attitude responsable à l’égard de cet art fugitif où l’instant est essentiel, où le présent fait loi.  Continuer la lecture « Marcel Bozonnet – prix du meilleur acteur européen »

Éthique de la sollicitude #2

À propos de « Is there life on mars » d’Héloise Meire et « Est-ce que vous pouvez laisser la porte ouverte en sortant » d’Antoine Lemaire et Sophie Rousseau

De quelle réalité doit-on rendre compte sur scène et comment ?

Deux pièces du Festival d’Avignon « Off » s’emparent d’un sujet délicat – la maladie mentale, respectivement l’autisme et l’Alzheimer – pour explorer les potentialités d’un théâtre du réel à mille lieues d’un réalisme artificiel et trompeur. Continuer la lecture « Éthique de la sollicitude #2 »

La beauté d’Antigone entre Orient et Occident

Bernard Debroux a vu le spectacle d’ouverture du 71e Festival d’Avignon.

La cour d’honneur du Palais des Papes au festival d’Avignon n’aura jamais fini de nous révéler ses mystères et ses potentialités artistiques.

À chaque fois, en y pénétrant, on est saisi d’une émotion différente.

Cette fois, en 2017, le metteur en scène Satoshi Miyagi a choisi de couvrir la vaste cour d’honneur d’une eau sombre. Cette eau, c’est l’Achéron, qui sera l’élément central de sa mise en scène d’Antigone. Frontière entre notre monde et l’au-delà, c’est cet élément liquide qui saisit le spectateur ; des acteurs, tout de blanc vêtus s’y meuvent tout en douceur, en faisant résonner à l’aide de leurs doigts qui glissent sur le pourtour de petites bougies de verre, un son qui se déploie imperceptiblement et qui annonce un étirement du temps qui sera au coeur de la représentation. Continuer la lecture « La beauté d’Antigone entre Orient et Occident »

Quand l’espoir s’appelle Esperanza 

À propos d’ « Esperanza » d’Aziz Chouaki, mise en scène d’Hovnatan Avédikian (à voir dès cette semaine dans le Off d’Avignon).

Si les pièces consacrées aux exilés sont de plus en plus nombreuses sur les scènes contemporaines françaises¹, rares sont celles qui, à l’instar d’Esperanza², mise en scène par Hovnatan Avédikian au Théâtre des Halles, sont nées avant ces tragiques mouvements de migration spectaculaires fortement médiatisés. Edward Saïd l’avait déjà analysé, les expériences de l’exil sont un puissant moteur de formes artistiques innovantes³. Pour autant, rares aussi sont les auteurs en France qui, comme Genet jadis ou Chouaki aujourd’hui, s’emparent de ces drames sans tomber dans la bien-pensance ni le pathos.  Continuer la lecture « Quand l’espoir s’appelle Esperanza « 

Nicht schlafen, ne pas dormir

Bernard Debroux a vu la nouvelle création des Ballets C de la B, « nicht schlafen », mise en scène par Alain Platel.

Au moment où je partageais la représentation de Nicht Schlafen au KVS (Bruxelles), dernier spectacle d’Alain Platel, l’Angleterre était à nouveau le théâtre d’un acte de violence effroyable sur le « London bridge ».

Concomitance de la violence représentée et de la violence réelle. Continuer la lecture « Nicht schlafen, ne pas dormir »

D’imperceptibles voix

Entretien avec Azade Shahmiri à propos de « Voicelessness », Kunstenfestivaldesarts 2017.

Une scène sobre partagée en deux par un grand écran sur lequel des images de montagnes enneigées sont projetées ; deux femmes, mère et fille, de chaque côté, dialoguent, essayant de reconstituer un crime qui a entraîné la mort du père. Elles cheminent virtuellement, l’une étant dans le coma (la mère), l’autre cherchant des réponses dans le passé pour pouvoir vivre le présent et appréhender le futur. Pouvoir vivre pour l’une, pouvoir mourir pour l’autre. Leurs voix se font écho dans un jeu de miroir entrainant le spectateur dans leurs projections mentales et dans leur désir d’entendre la voix de l’absent, de la vérité, de la mort. Silence et résonances. Continuer la lecture « D’imperceptibles voix »

Le doux pour le dur

Kunstenfestivaldesarts 17, semaine 1.

Croiser un Syrien dans la rue à Bruxelles n’entraîne aucune réaction particulière. Nous ignorons la nationalité des personnes qui nous entourent ; la multiculturalité de nos rues est un habitus. A contrario, regarder entrer en scène un danseur syrien dont on connaît la nationalité rappelle instantanément qu’il existe au théâtre plusieurs qualités de silence. Celui qui règne dans la Goudenzaal du Beurschouwburg ce soir est d’une intensité palpable. Chaque geste, chaque pas est scruté avec une attention rare par l’audience faisant corps, comme si chaque geste, chaque pas, était capable de dire enfin, mieux que tout autre canal d’information, le vrai de la guerre et de l’exil. Aucun mot et presque pas de musique ; de la précision, des regards choisis, du tact. Une atmosphère cotonneuse malgré les bottes qui s’autonomisent et les drapeaux blancs qui en disent long. Pas besoin d’agresser la salle pour évoquer le vrai de l’horreur, en somme. Continuer la lecture « Le doux pour le dur »

Ascanio Celestini, subjectif, indirect, libre

À l’occasion de la reprise de Discours à la Nation de David Murgia et Ascanio Celestini au Théâtre National, nous reprenons ici un extrait de ce texte paru dans le #120 « Les théâtres de l’émotion ».

La langue utilisée par Celestini, un italien régional romain, est l’expression de son identité personnelle mais c’est aussi la voix d’une communauté. En Belgique, il est « traduit » en direct par Patrick Bebi. Ensemble, ils ont développé une façon unique de faire passer d’une langue à l’autre, en direct, un texte. Ses spectacles en partie improvisés ne peuvent se plier aux surtitrages :

« Je  n’apprends pas un texte par cœur, je me le remémore à chaque fois. Je le raconte avec mes mots à moi. Je les dis avec ma voix, mon corps, ma barbe. » Continuer la lecture « Ascanio Celestini, subjectif, indirect, libre »

Le théâtre dans l’espace social (reconfigurations et efficacité symbolique)

Ce 19 avril au « Complexe Opéra » de l’Université de Liège avait lieu la première journée du CERTES, le Centre d’Etudes et de Recherches sur le Théâtre dans l’Espace Social. Quatorze intervenants sont venus apporter un certain éclairage sur la vaste question du positionnement du théâtre dans l’espace social.

En ouverture de cette journée, Nancy Delhalle, co-fondatrice du CERTES, proposait de considérer le théâtre comme une pratique sociale. D’abord, ce regard évite de devoir discuter de quelles créations constituent (ou non) des « œuvres de théâtre ». Ensuite il apporte un avantage méthodologique car si le théâtre est un événement social (la coprésence en un lieu d’acteurs et de public), on peut alors observer où, dans quel cadre, avec qui et avec quel dispositif il a lieu. Au-delà de ces aspirations théoriques, l’initiative du CERTES est aussi proche de projets pratiques comme, par exemple, l’installation au Val-Benoît de La Chaufferie, incubateur de projets artistiques (cofondé notamment par Nathanaël Harcq, directeur de l’ESACT, et Olivier Parfondry, directeur de Théâtre et Publics, tous deux membres du CERTES et intervenants à la journée d’étude).   Continuer la lecture « Le théâtre dans l’espace social (reconfigurations et efficacité symbolique) »

L’hybridation comme énergie chorégraphique

À propos de « East », de Sidi Larbi Cherkaoui.

En 2015, Sidi Larbi Cherkaoui, une des vedettes mondiales de la danse contemporaine, a été nommé directeur artistique du Ballet van Vlaanderen. Et donc co-directeur artistique de l’ensemble Opera Ballet Vlaanderen, en lien étroit avec Avie Cahn, un solide jeune patron qui règne depuis 2009 sur l’Opéra. Un regroupement voulu par la tutelle politique flamande, pour des raisons à la fois budgétaires et de prestige, à l’exception des administrateurs du parti de Bart De Wever, la NVA, qui ont voté contre sa candidature. La troupe elle-même est réticente puisque sa formation classique, ses habitudes et ses fréquentations (les corps de ballet de quelques opéras traditionnels) ne vont pas naturellement vers l’univers multiculturel du nouveau patron.  Continuer la lecture « L’hybridation comme énergie chorégraphique »