Exils intérieurs, un oratorio profane

Spectacle d’Amos Gitaï

Théâtre de la Ville – Les Abbesses

J’avais rencontré Amos Gitai sur un plateau de télévision et sa pensée aussi concrète que théorique m’avait conquis, voire même marqué ! Au nom de ce souvenir lointain je décidais d’aller voir son spectacle prévu en juin, déplacé et, finalement, programmé en ouverture de saison au Théâtre de la Ville.

Exils intérieurs… Moi-même exilé, ce questionnement me motive et me taraude ! Dans la salle des Abbesses où l’assistance formait une assemblée n’ayant comme signe distinctif que les masques Emmanuel Demarcy-Mota a ouvert la soirée et les mots prononcés sur un fond de fatigue évident ont résonné plus particulièrement dans le spectateur que j’étais. Grâce à ses mots, le sens de ma présence m’est apparu avec une gravité inhabituel.  Elle se constituait en acte responsable, acte de résistance qui répondait à la responsabilité du fait de jouer. Entre la salle et la scène s’installait alors un effet de miroir. Cette réciprocité des images fondait notre « être ensemble » et une même gravité nous réunissait. Nous étions nécessaires les uns aux autres plus qu’à l’accoutumée !

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Une famille d’artistes : de Victor Brauner à Samy Briss

  • De l’interthéâtralité à l’nterpictularité

Victor Brauner a enfin la rétrospective qu’il méritait au Musée d’Art Moderne mais, dépourvu de chance, comme il le fut toute sa vie, elle s’est ouverte par des temps brumeux, de peur, d’inquiétude mais, malgré tout, de résistance. Masqués, les visiteurs nullement épars se succèdent concentrés devant les toiles de ce peintre roumain d’origine juive qui a évolué, sous le signe du « rêve », entre son pays natal et la France dans la première moitié du XXème siècle. Engagé dès ses débuts dans les mouvements de l’avant-garde roumaine qui a marqué un moment décisif sur la scène culturelle roumaine grâce à des figures éminentes comme Tristan Tzara, Ilarie Voronca, Benjamin Fondane, Brauner s’est affilié ensuite à la mouvance surréaliste radicale placée sous la bannière d’André Breton qui la conduit d’une main de fer. Le passage de la revue UNU – titre du journal roumain que l’on retrouve dans l’exposition – aux réunions avec les artistes qui défendent l’approche de l’art dans la perspective du rêve se produit sans heurts, presqu’organiquement. L’Europe a connu l’unité des avant-gardes jusque dans les années 30 qui, ensuite, va être battue en brèche sous l’impact des dictatures, fasciste ou communiste ! Cela va entraîner des affiliations douteuses ou des exclusions scandaleuses… Brauner en subit les conséquences.

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Hommage à Michel Piccoli.

Le 12 mai 2020, Michel Piccoli nous quitte à l’âge de 94 ans, Alternatives Théâtrales lui rend hommage en publiant un entretien qui lui a été consacré en 1991.

Fièvre et légèreté – Entretien avec Michel Piccoli – mené par Georges Banu en 1991 et publié dans la revue #44 d’Alternatives Théâtrales – Théâtre et vérité.

Peter Brook – Shakespeare résonance par George Banu

A propos de Shakespeare résonance – Recherche autour de « La Tempête », du 19 au 21 février 2020 au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.

Shakespeare résonance, c’est ce par quoi l’inattendu est arrivé ! Le dispositif est unique, mais également dangereux ! Un grand homme de théâtre, Peter Brook, proche de son 95ème anniversaire, fait retour dans son lieu, le théâtre des Bouffes du Nord dont, dit –il, « les murs en ruine, en silence, ont résonné en lui dès sa première entrée »! Il nous convie non pas à un dernier spectacle, selon la coutume, non, il l’accompagne et témoigne à la première personne : en ce sens les trois soirées furent pour nous tous comme des rencontres où l’humain le disputait à l’art, ou, plus exactement, ils faisaient corps commun au nom d’une affection jamais contrariée pour Shakespeare, dieu anonyme du théâtre. L’inédit de la proposition surprend, mais bien davantage elle émeut.

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La Quadriennale de Prague : Empreintes.

Printemps 2019

Le souvenir dispose d’une résistance moindre à l’oubli que l’empreinte qui, elle, finit par se constituer en monade de la mémoire, en trace ancrée en soi avec une consistance supérieure. L’empreinte fixe plutôt un événement fort, trié et isolé, tandis que les souvenirs s’inscrivent plus ou moins dans un flot qui les emporte et entraîne, ensuite, vers un effacement accéléré. A propos de la Quadriennale de Prague, panorama planétaire de la scénographie actuelle, je préfère cette fois –ci évoquer les empreintes plutôt que les souvenirs…en essayant de restituer l’expérience vécue et conserver son impact.

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Récits de mort annoncée

« Nachlass » de Rimini Protokoll et « La Voix humaine » de Jean Cocteau/Ivo van Hove

Le théâtre se dérobe au récit des témoins confrontés avec son insaisissable souffle et son irrémédiable disparition. Il ne leur reste que des pincées et des bribes dont ils conservent le souvenir, le transmettent même, sans pouvoir le restituer. Défi de spectateur déchiré entre l’expérience et l’extinction qui suit, enjeu de mémoire et défaite programmée. Continuer la lecture « Récits de mort annoncée »

Tendresse

du Festival National de Bucarest au Festival d’Automne à Paris

Marina Constantinescu, critique réputée, assure la direction du Festival National de Théâtre de Roumanie dont le programme, cette année, a conjugué avec un rare succès des spectacles du pays retenus au terme d’une sélection personnelle et des représentations invitées qui ont ébloui public et créateurs réunis. Continuer la lecture « Tendresse »

Le legs de l’écrit

À l’occasion de la parution du #135 « Philoscène, La philosophie à l’épreuve du plateau », nous publions un extrait de la préface de Georges Banu, « Le legs de l’écrit », in « Antoine Vitez, Le théâtre des idées », Éditions Gallimard.

Le théâtre des idées – geste éditorial accompli, il y a vingt-quatre ans, dans l’urgence de la disparition brutale d’Antoine Vitez. Continuer la lecture « Le legs de l’écrit »

Une Chambre en Inde ou l’«autofiction de Mnouchkine»

« L’autofiction » fait fortune en France et, depuis vingt ans, cela remonte à Serge Doubrovsky et son roman le Fils. Des écrivaines surtout s’adonnent avec délice à cet exercice qui convoque des traces mémorielles personnelles pour les inscrire dans un cadre romanesque, et échapper ainsi à l’écueil des mémoires, du journal, de la biographie revisitée. Genre hybride « l’autofiction » séduit par la mixité du vécu assumé et du fictif ajouté ! Continuer la lecture « Une Chambre en Inde ou l’«autofiction de Mnouchkine» »

Le patrimoine génétique communiste

Une contribution au #134 « institutions / insurrections » qui vient de paraitre.

On le sait, chacun possède un patrimoine génétique dont il est indissociable et qui capitalise les données d’un passé familial et permet de déceler les données d’une identité. Mais ce qui concerne une personne seule semble pouvoir s’élargir à une société et à ses empreintes historiques. Aujourd’hui, plus d’un quart de siècle après la chute du communisme, les manifestations récentes de certains dirigeants des anciens pays de l’Est semblent révéler la constitution d’un patrimoine génétique « politique » au nom duquel ils agissent et, bizarrement, trouvent un consentement général. Continuer la lecture « Le patrimoine génétique communiste »