Marco Pantani, parole d’honneur

À propos de « Pantani » du Teatro delle Albe 

Pantani. Photo © Claire Pasquier.

Marco Pantani. Ce nom vous dit peut-être quelque chose. C’était le nom d’un champion de cyclisme. Moi-même, qui ne suis pas spécialement fan de vélo, j’en avais entendu parler.

C’était surtout un bon ragazzo, qui venait de la mer et s’entraînait, petit, sur le vélo de sa maman en grimpant les collines d’Émilie-Romagne, sa Région natale, et finit, des années plus tard, par triompher plusieurs fois, malgré deux accidents graves, au Giro d’Italia et au Tour de France.
Un gars sympa, le crâne chauve, les oreilles décollées, toujours prêt à défendre son sport et ses acolytes des accusations souvent injustes; un regard fier qui scrutait toujours la ligne – pour lui glorieuse – de l’horizon. En 1998, la jambe à peine remise, il gagne aussi bien le Tour d’Italie que le Tour de France et devient un héros dans le monde entier. Il est adulé dans son pays, plus encore qu’un champion de formule 1 ou de calcio. Les qualificatifs élogieux ne manquent pas : le Pirate, l’Évangéliste, Dieu…

« Mais ce garçon exceptionnel, ne gagne-t-il pas trop? » commence-t-on à se demander dans le milieu.
Il attise en tout cas les jalousies.
Le 5 juin 1999, à son second Giro d’Italia, il s’est littéralement propulsé vers le sommet de Madonna di Campiglio ; mais ce jour-là, la Madone n’y était pas, dira-t-il par la suite. Le soir de la course, il contrôle lui-même son taux d’hématocrite. L’hématocrite est le volume occupé par les globules rouges circulants dans le sang exprimé en pourcentage par rapport au volume total du sang. Il ne doit pas dépasser cinquante pourcent, pour des raisons de santé. Trop d’hématocrite peut être le signe d’une prise d’EPO (hormones dopantes), mais pas forcément. Ce soir-là, tout va bien, Marco peut dormir tranquille. Le lendemain matin, on lui fait le même contrôle. Le résultat est sans appel : cinquante-deux pourcent. C’est la suspension et l’exclusion du Giro. L’image de son « arrestation », comme un délinquant, fait le tour du monde. Il se défend, crie au complot mais, déjà, plus personne ne l’écoute.

Ce qui suivra est un acharnement médiatique sans précédent. Son nom est traîné dans la boue. Il est humilié dans toute la presse, on le compare même à des excréments de cochon. L’Italie, ce pays aux mille facettes, capable d’encenser comme de détruire, a trouvé un bouc émissaire et devient son bourreau, impitoyable. (1)
Notre champion fera alors une longue dépression et plongera dans la drogue.

Il est retrouvé mort dans des circonstances suspectes le 14 février 2004, à l’âge de 34 ans. L’enquête sur sa mort fut bâclée, des indices de présence d’une personne qui s’y trouvait au moment de son décès n’ont jamais été analysés.

Samedi dernier, à Bologne, la salle était debout pour applaudir Pantani, une production du Teatro delle Albe. Ce spectacle tourne constamment depuis 2012 et a gagné de nombreux prix. C’est chez nous, à Mons (il est coproduit par le Manège.mons) que l’auteur et metteur en scène Marco Martinelli en a eu l’idée, partant du livre du journaliste Philippe Brunel – Vie et mort de Marco Pantani (Grasset)–, interprété sur scène par l’acteur belge Francesco Mormino. Pour monter ce spectacle, Martinelli a tout lu sur le coureur et rencontré ses proches à plusieurs reprises, surtout sa mère, Tonina Pantani, une femme battante, militante inlassable, qui a cédé son commerce de piadine (sortes de crêpes typiques de la région) pour implorer sans relâche justice pour son fils.
Sur scène, dès le début, le cycliste est présent mais uniquement par vidéo interposée, petits films qui le montrent en action. Sa mère, magnifiquement incarnée par Ermanna Montanari, n’aura de cesse d’éteindre ces images, comme si elle essayait d’anéantir sa douleur à l’aide d’une télécommande. Car si Marco Pantani est le coeur de la pièce, si c’est son histoire qu’on découvre et qu’on suit avec passion, l’héroïne en est sa mère. Une mère-courage, une Antigone moderne qui ne peut faire le deuil de son fils tant que la vérité sur sa mort n’aura pas éclaté. Elle illumine le spectacle de sa souffrance digne et de son combat. Son père, Luigi Dadina, est d’un pathos populaire d’une intensité rare et sa sœur, jouée par Michela Marangoni, est magnifique de simplicité et de vérité. Comme à son habitude, Marco Martinelli soigne aussi la musique, ici Simone Zanchini avec son accordéon grave et doux à la fois ; et un chœur, la voix de(s) (l’)absent(s), scande solennellement les scènes par des chants populaires.

En lisant les journaux italiens lundi matin, soit deux jours après avoir assisté au spectacle, je tombe sur une nouvelle qui me bouleverse. Alors que « l’affaire » devait justement être classée, on intercepte par hasard une conversation dans la cellule d’un ancien « camorriste » qui porte sur ce qui est arrivé là-haut, quand la Madone se défila devant Marco et qu’il se retrouva banni comme un paria. Le scandale est dévoilé au public: l’éprouvette utilisée pour son contrôle avait été altérée. C’est la Camorra qui lui fit perdre son Giro.

La pièce permet de sublimer cette histoire, finalement assez banale, d’un innocent accusé sans preuve. Elle fait le portrait en filigranes d’une société féroce qui crée des idoles pour mieux les massacrer, tout en contraste avec la simplicité presque candide d’une région aux racines paysannes.

L’actualité a donné une réponse à la question que posait intrinsèquement le spectacle: nos hyper démocraties empêchent-elles l’excellence ? Peut-être. Mais dans ce cas-ci, Pantani fut écarté par la mala vita, les « vrais » délinquants, et achevé par les mots assassins d’un peuple qui l’avait pris en ligne de mire.

Le théâtre a tenté de réhabiliter son honneur; la justice a pris le relais.

Tonina pourra peut-être, enfin, dormir tranquille.

 

1. En 1969 Eddy Mercks fut aussi déclassé du Tour d’Italie pour dopage. Mais il fut défendu bec et ongles par toute la population belge - même la reine s’en mêla! - et au bénéfice du doute, sa suspension fut annulée.
Sur le thème du cyclisme un spectacle belge très réussi tourne aussi beaucoup pour le moment : Porteur d’eau de Denis Laujol.

Auteur/autrice : Laurence Van Goethem

Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales.

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