« Les solutions viennent des autres. »

Durant l’automne 2015, Judith de Laubier a suivi, en tant que stagiaire à la mise en scène, les répétitions de « Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant » de Claude Schmitz, créé aux Halles de Schaerbeek. Journal de création, épisode 3/4 : acteurs et scénographie.

Olivier Zanotti (Gabriel) et Clément Losson (Stan). Photo © Clémence de Limburg

« La scénographie est une question qui m’intéresse vraiment, donc je ne peux pas imaginer une histoire sans penser à l’espace. J’ai toujours su qu’il y avait une première partie dans l’appartement, qu’il y aurait une voiture et qu’on terminerait dans une grotte. J’arrive avec un projet dont les lignes directrices sont relativement claires et après ça, c’est un travail d’échange très ludique avec Boris Dambly, Fred Op de Beek¹ et les acteurs. »²

Prenons la première partie : un appartement est figuré par « deux murs blancs ». Claude et Boris choisissent sciemment un espace relativement vide et demandent à chaque acteur de le faire vivre en y apportant des objets qui leur appartiennent. C’est important que ce soit des objets personnels pour qu’une forme de vérité s’immisce dans le lieu de la fiction. La scénographie évolue au fil des répétitions et elle influence la fable. L’acteur Olivier Zanotti apporte un jour un chien empaillé et on se rend compte que ça fait écho à une situation qui a lieu plus tard dans la pièce ; Clément Losson, lui, apporte des criquets dans un vivarium et petit à petit ils deviennent un élément central de l’appartement et du quotidien des personnages. Cette matière participe au récit, elle crée un environnement qui modifie progressivement la narration. De la même façon, Boris Dambly, le scénographe, propose souvent des idées périphériques liées à des situations de jeu. Par exemple, pour la scène d’ouverture du spectacle, c’est lui qui a suggéré que l’un des personnages ait une conversation sur Skype. C’est une idée de situation, mais, pour finir, c’est de la mise en scène, de l’espace et de la lumière.

« Quand on imagine une scénographie avec Boris, on se demande toujours comment le vivant va pouvoir s’emparer de ça, comment il va pouvoir dépasser le décor et donner de la vérité à cet espace. » De même que le texte, la scénographie fonctionne comme un squelette qui demande à être nourri. Boris Dambly et Claude Schmitz imaginent un espace à jouer, mais ils laissent aux acteurs le soin de le remplir et de le salir. Je me souviens de Patchouli, au début des répétitions, demandant à Boris de faire un trou dans la grotte pour y mettre sa bouteille de Jack Daniels ! Cela paraît anecdotique, mais c’est très révélateur de la prise de possession du territoire par les acteurs. L’équipe de scénographie travaille pendant deux mois sur cette grotte, et la première chose que fait l’acteur c’est creuser un trou pour y mettre sa bouteille de Jack. C’est un geste symbolique pour dire « Maintenant, ici, c’est chez moi ! ». Dès le moment où ils arrivent sur le plateau, ils savent qu’ils sont maîtres à bord. Leur donner cette liberté, c’est faire en sorte que les acteurs se sentent sur scène dans un monde qui leur appartient.

« Quand tu travailles sur une matière, si tu es sensible aux signes autour de toi, le réel nourrit énormément un projet. Ce qui est terrible, c’est de s’enfermer et d’écrire un projet dans son coin, sans être attentif à ce qui se passe autour. Les solutions, elles viennent des autres, ça j’en suis persuadé. » Un jour, lors d’une réunion technique, Judith Ribardière – la dramaturge de Claude – parle de photographies que sa grand-mère avait faites dans les années 80 au Mali. Claude décide d’intégrer cette matière documentaire dans le spectacle et il en fait un événement de la fiction. Et d’une anecdote, nos trois petits cochons se retrouvent donc à projeter au milieu de leur cuisine les diaporamas de la grand-mère de Judith, rêvant à leur possible voyage en Afrique.

Patchouli (Darius), Clément Losson (Stan), Olivier Zanotti (Gabriel) devant le diaporama du Mali. Photo © Clémence de Limburg
Patchouli (Darius), Clément Losson (Stan), Olivier Zanotti (Gabriel) devant le diaporama du Mali. Photo © Clémence de Limburg

L’équipe de création s’est installée aux Halles de Schaerbeek seulement dix jours avant la première représentation (les répétitions préalables ont eu lieu au Théâtre Océan Nord). À ce moment-là, la trame du spectacle était en place et les comédiens étaient à l’aise dans leur parcours, mais il a fallu s’accorder avec un nouvel espace. Il y a eu tout un travail d’adaptation pour que la technique n’écrase pas le jeu, mais que les deux se mettent au diapason. Et je remarque que le spectacle a réellement pris forme au moment de cette rencontre. Finalement, c’est avec cette contrainte supplémentaire que les acteurs se sont mis à transcender le texte et à réinventer des choses.

Les scènes sont très calibrées, très répétées, mais à tout moment, le cadre peut exploser. Claude met en place des formes où il laisse une part à l’aléatoire. Il cherche à faire naître une friction entre le cadre scénique et les êtres qui doivent l’investir. Sur scène, les acteurs savent qu’ils peuvent « lâcher les chiens », ce qui les rend parfois imprévisibles et donne au spectateur le sentiment qu’on est toujours au bord de l’accident. Ça vaut pour les acteurs mais aussi pour le décor. Lors d’une des représentations, Francis Soetens a jeté un téléphone qui a explosé au sol. C’était inattendu pour les acteurs comme pour les spectateurs, si bien qu’on se demande si c’est un choix ou un accident. Cette incertitude crée une tension entre l’acteur et le spectateur qui nous donne la sensation de vivre un moment singulier.

« Quand on voit ton spectacle, on se dit que tout peut arriver, et au final tout arrive ! » disait un spectateur à la sortie du spectacle.

« COMMENT ARRIVER À RECRÉER DU VIVANT ? C’EST LA SEULE QUESTION QUI M’INTÉRESSE. ON DIT QUE LE THÉÂTRE EST UN ART VIVANT, MAIS EN FAIT C’EST EXTRÊMEMENT RARE DE SENTIR QUE L’ÉNERGIE DÉPLOYÉE EST UNE ÉNERGIE QUI CASSE LE CADRE, QUI N’EST PAS COMPLÈTEMENT CANALISÉE. »

1. Boris Dambly est le scénographe du spectacle ; Fred Op de Beek en est le directeur technique.
2. Toutes les citations dans le texte sont de Claude Schmitz.
Retrouvez les épisodes précédents du journal de création de "Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant" de Claude Schmitz par Judith de Laubier : 

   - "Who's Afraid of the Big Bad Wolf ?" (épisode 1/4)
   - "Moi j’ai pas envie de faire une italienne, je suis belge" (épisode 2/4)
Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant

Avec : Marc Barbé, Lucie Debay, Clément Losson, Patchouli, Olivier Zanotti, Francis Soetens. 

Mise en scène : Claude Schmitz | Dramaturge : Judith Ribardière | Assistante lumière et stagiaire à la mise en scène : Judith de Laubier | Stagiaire à la scénographie : Jade Hidden | Stagiaire aux accessoires : Camille Chateauminois | Scénographie : Boris Dambly | Maquette : Nora Kaza Vubu | Création Sonore et Musique Originale : Thomas Turine | Lumières : Octavie Piéron | Image : Florian Berutti | Direction technique : Fred Op de Beek | Construction du décor : Fred Op de Beeck, Yoris Van de Houte, Alocha Van de Houte, Olivier Zanotti et Jade Hidden | Sculpteur - Peintre : Laurent Liber, Boris Dambly et Guillaume Molle.


Avec la participation amicale de Drissa Kanambaye et Djeumo Sylvain Val.

Production déléguée : Halles de Schaerbeek.

Coproduction : Comédie de Caen, Compagnies Paradies Avec l’aide de la Fédération Wallonie Bruxelles, service Théâtre. Et le soutien du théâtre Océan-Nord. Avec l’aide de la Fédération Wallonie Bruxelles, Service Théâtre.

Auteur/autrice : Judith de Laubier

Metteure en scène stagiaire auprès de Claude Schmitz sur la création du spectacle "Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant".

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