Entre greffes et réécritures tchekhoviennes

LA MOUETTE Mise en scène Thomas Ostermeier. Photo © Arno Declair.

Thomas Ostermeier s’est imposé comme l’artiste à même de ramener à la modernité les pièces d’Ibsen auxquelles il a fait subir un traitement particulier, aussi bien au niveau du traitement scénique que textuel. Pour La Mouette dont il vient d’y avoir la première au Théâtre Vidy – Lausanne, il opte pour un procédé similaire sans qu’il trouve, à mon avis, une même pertinence. Il intègre les références les plus immédiates de notre actualité –  la Syrie, les migrants – en opérant des insertions qui visent, évidemment, à rapprocher l’oeuvre du contexte contemporain. Mais ce qui dans le cas d’Ibsen prenait le sens d’un véritable rattachement au présent, se réduit ici à une opération de rafistolage sans une égale pertinence. La greffe reste extérieure et, de la salle, je fais le constat de son rejet. Si l’oeuvre de Tchekhov permet peut-être des coupes qui raccourcissent certains discours, elle semble réfractaire à ces rajouts qui, c’est flagrant, souhaitent dissimuler la distance qui nous sépare de la situation présentée. Par ailleurs, Tchekhov, qui se distingue par une précision toute particulière des textes et une économie unique de l’écriture, ne semble pas être propice à un tel mixage : les rajouts viennent d’ailleurs, d’un autre auteur, d’un «réparateur» de passage… Ici on associe la préservation conséquente du matériau d’origine et, de l’autre côté, on procède à l’insémination dispersée des informations actuelles. L’hybridation reste de façade.

Cette réserve ne concerne pas toutes les pièces du répertoire – et Ostermeier l’a démontré – mais cette fois-ci elle m’a semblé être dérangeante. Inappropriée. Moi, je n’ai jamais aimé «les moustaches» ajoutées à la Joconde.

Aux greffes d’Ostermeier on peut préférer la radicalité de l’artiste brésilienne Christiane Jatahy qui propose une réécriture intégrale des Trois Soeurs à partir du motif central du texte : la quête de ce lieu utopique, sauveur et inatteignable qu’est Moscou. Ce paradis perdu qu’elles voudraient désespérément réintégrer. Le texte sert de référence première, tout en ayant perdu sa matérialité littéraire propre : il s’agit d’une «écriture de plateau» inspirée par Tchekhov. Et, moi, je l’avoue, je préfère, aux greffes occasionnelles, voire superficielles de La Mouette, la radicalité du What if they went to Moscow qui réclame un autre jeu, entraîne une distribution modifiée, propose des situations différentes. L’oeuvre initiale ne persiste qu’en tant que souvenir premier, référentiel ; son écho ne meurt pas et il parvient jusqu’à nous telle une réverbération lointaine…

Daniel Veronese, il y a quelques années, a procédé à des interventions sur des textes de Tchekhov, en concentrant les oeuvres qui semblaient alors à des «têtes réduites» car, de même que dans les opérations rituelles africaines, on reconnaissait les traits de l’oeuvre sur fond de densification maximale du texte. Actuellement au Théâtre PanTa on rejoue la version Veronese de l’Oncle Vania (mise en scène Guy Delamotte) – combien je regrette de ne pas l’avoir vue.

Par contre, comment ne pas évoquer ici la déception de la Cerisaie signée par TgStan – l’adaptation du texte d’une simplicité confondante faisait penser à un «Tchekhov pour les nuls» pareil à «L’ordinateur pour les nuls» qui se trouve dans la proximité de mon bureau.

Paru récemment : Tchekhov, par Georges Banu, Collection "Le théâtre de...", éd. Ides et Calendes, Lausanne, 2016

Auteur/autrice : Georges Banu

Essayiste, membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (co-directeur de publication de 1998 à 2015).

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