Les arts vivants ont une responsabilité dans la manière dont ils véhiculent des clichés

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie prochaine du #133) : entretien avec Jasmina Douieb, actrice et metteuse en scène.

Comment définirais-tu ton travail de création artistique, envisagé à l’aune de la « diversité culturelle » ? Et que revêt selon toi ce terme devenu d’usage courant au sein des institutions culturelles ? 

Ce terme revêt pour moi un caractère exotique d’une altérité que je ne porte pas tout à fait en moi. J’ai pu sentir, en tant que comédienne, à maintes reprises, que cela s’avérait décevant pour bien des directeurs de castings, de me trouver si peu typée, si peu basanée ou frisée. Et je n’ai finalement jamais été choisie comme comédienne parce que j’étais d’origine marocaine. Parfois à mon grand dam ! Mais c’est tout simplement parce la réalité, ma réalité, qui est celle d’un grand nombre, est bien plus complexe que cette diversité recherchée pour cadrer avec les démarches socio-culturelles bien pensantes… Je suis une « zinneke », mais avec des parts pas tout-à-fait égales. Je suis une Belge avec un père marocain. Et je n’ai reçu ni éducation religieuse, ni culture, ni enseignement de l’arabe. Je suis une dénaturée avec des stigmates d’un là-bas que je connais mal. Et c’est ça mon identité. Continuer la lecture « Les arts vivants ont une responsabilité dans la manière dont ils véhiculent des clichés »

« Oser nommer les choses et sortir du politiquement correct »

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie prochaine du #133) : témoignage de Cathy Min Jung, actrice, autrice, metteuse en scène.

La diversité culturelle est un état de fait, elle existe sans aucune forme de hiérarchie intrinsèque, il devrait en être ainsi sur les scènes.

En ce qui me concerne, par nature, je suis « diverse » pour reprendre un trait d’humour de Carole Thibaut à mon sujet. Je suis une femme, d’origine sud-coréenne de surcroît. On peut dire que je cumule les difficultés dans un univers encore trop souvent régi par l’homme blanc, de plus de cinquante ans en général.

Pourtant, si je suis effectivement née à Séoul et que je suis d’apparence asiatique,  dans le fond, ma culture est très occidentale, j’ai grandi en Belgique, dans une famille belge, j’ai fréquenté l’école publique, ma langue maternelle est le français et je maîtrise très bien l’alexandrin. Ce qu’on appelle diversité dans mon cas, ne tient finalement quasiment qu’à mon apparence physique. Continuer la lecture « « Oser nommer les choses et sortir du politiquement correct » »

La poétique du divers (entretien avec Bérangère Jannelle)

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie prochaine du #133) : entretien avec Bérangère Jannelle, metteuse en scène (compagnie La Ricotta).

Comment définiriez-vous votre travail de création artistique, envisagé à l’aune de la « diversité culturelle » ? Et que revêt selon vous ce terme devenu d’usage courant au sein des institutions culturelles ? 

Je dirais que je n’ai jamais abordé mon travail de création artistique avec ce terme-là de la diversité, mais plutôt celui du divers, emprunté d’ailleurs à Edouard Glissant.

Poétique du divers. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? C’est en fait très concret. Il s’agit pour moi de travailler artistiquement sur la relation à celui/ceux qui sont différents, a priori loin de moi selon des critères « objectifs » mais dont je me sens proche selon de critères subjectifs, sensibles, intimes et donc artistiques. Continuer la lecture « La poétique du divers (entretien avec Bérangère Jannelle) »

Remettre en question nos privilèges (entretien avec Sidi Larbi Cherkaoui)

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie prochaine du #133) : entretien avec Sidi Larbi Cherkaoui.

Christian Jade : Quand on est fils d’immigrés en Belgique (avec des parents musulmans et catholiques), comment s’en tire-t-on ?

Sidi Larbi Cherkaoui : Quand on est enfant d’immigrés, on ne peut pas se retourner sur les richesses de nos parents. Parce que ces richesses-là sont dans le pays d’origine. Même s’il est difficile pour un jeune Flamand de trouver du travail, il a un contexte familial beaucoup plus stable pour être rassuré et se faire aider. Pour ceux qui n’ont pas ces ressources-là dans leurs familles, c’est tout ou rien. Soit on a de la chance, soit on travaille dur, et ça paie. Et à un moment donné, on arrive quelque part. Soit on n’a pas de chance et on n’a nulle part où se réfugier. Continuer la lecture « Remettre en question nos privilèges (entretien avec Sidi Larbi Cherkaoui) »

« Le côté Sysiphe du travail » – Entretien avec Arnaud Meunier

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie prochaine du #133) : entretien avec Arnaud Meunier, directeur de la Comédie de Saint-Etienne.

Comment élargir le recrutement des lieux de formation aux métiers de la scène et du plateau, sans pour autant tomber dans les travers et effets pervers d’une politique volontariste ? 

C’est bien tout le débat entre « discrimination positive » et « égalité des chances ». À L’École de la Comédie, nous avons choisi la seconde option. Vous vous demandez quelle est la différence ? La discrimination positive aurait pu consister par exemple dans le fait de réserver un quota de places dans chaque promotion de l’École pour des jeunes issus de la diversité ; de passer les promotions de 10 à 12 élèves par exemple pour y intégrer un garçon et une fille issus de la diversité. Cela aurait impliqué de travailler sur un principe de concours parallèle. Continuer la lecture « « Le côté Sysiphe du travail » – Entretien avec Arnaud Meunier »

« Si mon travail est déterminé et compris uniquement par mes origines, on est complètement à côté de la plaque. » Entretien avec Mohamed Rouabhi

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie du #133 à l’automne prochain) : entretien avec Mohamed Rouabhi, auteur, acteur et metteur en scène.

Comment définiriez-vous votre travail de création artistique, envisagé à l’aune de la « diversité culturelle » ? Et que revêt selon vous ce terme devenu d’usage courant au sein des institutions culturelles ? 

« À l’aune de la diversité » est une expression étrange, cela suppose que « la diversité » vient de naître, que cela existe depuis quinze jours…  J’ai travaillé en 1995-1996 sur Malcolm X. Ce qui était important pour moi dans ce spectacle, c’était son parcours dans sa globalité. Pendant toute sa vie, Malcolm X a été, avec sa verve, porte-parole d’une organisation : « The Nation of Islam », il ne parlait pas en son nom. Quatre mois avant d’être assassiné, il a fait un pèlerinage à La Mecque, et là, il a découvert que le monde n’était pas blanc ou noir, et que cette chose n’était pas déterminante dans son combat personnel, ni même dans sa foi, ou dans ses croyances. Il écrit, dans une lettre à sa sœur, qu’il croise autour de lui à La Mecque une diversité insoupçonnable de couleur de peau et qui a pour point commun une même foi, la foi en l’Islam. Et, lorsqu’il revient, il est perturbé par cela, il décide d’abandonner son poste de porte-parole de La Nation de l’Islam et il monte sa propre organisation. À partir de là, il ne lui reste plus que trois mois à vivre parce que jusqu’ici, ce qui lui importait c’était de défendre les gens qui habitaient dans son quartier, ou des gens qui vivaient la même chose de par leur histoire commune, à savoir l’esclavage, l’apartheid, les discriminations raciales. Et cela ne posait de problème à personne qu’un Noir défende un autre Noir dans son quartier. Mais à partir du moment où un individu décide, qu’au fond, il partage les mêmes réflexions, la même lutte contre le pouvoir et l’oppression qu’un Viet-Cong, qu’un Congolais, qu’un Péruvien… cela devient un vrai problème. À partir du moment où il commence à considérer que le combat est universel et non plus à l’échelle de sa communauté ou de son quartier, il devient un être incontrôlable. Il est assassiné, par un Noir armé par des Blancs. Continuer la lecture « « Si mon travail est déterminé et compris uniquement par mes origines, on est complètement à côté de la plaque. » Entretien avec Mohamed Rouabhi »

« S’ouvrir à des possibles inenvisageables auparavant » (Caroline Safarian)

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie prochaine du #133) : témoignage de Caroline Safarian, autrice, metteuse en scène, comédienne et pédagogue de théâtre.

La définition qui semble la plus courante concernant la culture est celle reprise sur le site de l’UNESCO¹.

 « La culture est un ensemble complexe qui inclut savoirs, croyances, arts, positions morales, droits, coutumes et toutes autres capacités et habitudes acquis par un être humain en tant que membre d’une société. »

Si elle est définie comme un ensemble « complexe » des différentes choses acquises par un individu, il me semble alors évident de penser combien la « diversité culturelle » doit l’être plus encore ! Et j’ai envie de remettre un peu de nuances dans ce qu’aujourd’hui on souhaite nous imposer comme définition de l’identité culturelle et de la coexistence des cultures au sein d’une société…  Continuer la lecture « « S’ouvrir à des possibles inenvisageables auparavant » (Caroline Safarian) »

Babetida Sadjo dans « Les murs murmurent » : Masculin/féminin, père/fille, théâtre/cinéma

 Dialogue avec Christian Jade

Babetida Sadjo, née en Guinée Bissau, passée par le Vietnam, a atterri en Belgique… au Conservatoire de Bruxelles, il y a dix-sept ans. Depuis lors elle s’est fait remarquer au théâtre et au cinéma. Nominée dès 2009 « jeune espoir » par les Prix de la Critique pour sa prestation dans Le masque du dragon de Philippe Blasband, elle inspire à Pietro Pizzuti un très beau spectacle sur l’excision en Afrique (L’Initiatrice), lauréat du meilleur texte (2012). En France, elle a joué cette saison aux côtés de Romane Bohringer et Hippolyte Girardot dans Terre noire de Stefano Massini, mise en scène d’Irina Brook, passée par le Théâtre de Namur (janvier 2017). Continuer la lecture « Babetida Sadjo dans « Les murs murmurent » : Masculin/féminin, père/fille, théâtre/cinéma »

« Les temporalités ne sont pas figées » (entretien avec Serge Rangoni)

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie du #133 à l’automne prochain) : entretien avec Serge Rangoni, directeur du Théâtre de Liège.

A. T. : Existe-t-il un problème spécifique d’accès des artistes issus de l’immigration aux scènes européennes ?

S. R. : Oui, il existe un problème spécifique lié en grande partie à la formation. S’il y a énormément d’étudiants français dans nos écoles artistiques, c’est parce que l’enseignement secondaire est plus faible que celui dispensé en France. À ce niveau d’enseignement plus faible en Belgique il faut ajouter que, bien souvent, les personnes issues de l’immigration viennent d’école de niveau moins bon et ont donc de grandes difficultés à entrer dans les écoles artistiques. C’est donc avant tout une question de niveau social et culturel. Continuer la lecture « « Les temporalités ne sont pas figées » (entretien avec Serge Rangoni) »

« Entre art contestataire et art sclérosé, le théâtre est multiple » (Jean Bellorini)

Suite de notre série consacrée aux défis de la diversité culturelle (en préambule à la sortie du #133 à l’automne prochain) : le témoignage de Jean Bellorini, directeur du Théâtre Gérard Philippe (Centre Dramatique National de Saint-Denis).

(…)

La Troupe éphémère, qui est composée de jeunes amateurs de 15 à 20 ans vivant à Saint-Denis et issus de cultures et origines diverses, propose la traversée d’une œuvre littéraire, poétique ou théâtrale, et la conception d’un spectacle de théâtre, dans la grande salle du TGP. C’est un temps fort de la programmation du théâtre, car son processus de fabrication, sa qualité et sa proximité avec le territoire en facilitent grandement l’appropriation. Continuer la lecture « « Entre art contestataire et art sclérosé, le théâtre est multiple » (Jean Bellorini) »