Écrire ? et autres notes

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme.
Extrait 2 : notes non datées (années 90).

– ÉCRIRE ? Oui, écrire. Restituer le roulis qu’on a dans la tête. À l’origine, il y a quelque chose qui roule dans la tête, pas très identifiable, et on essaie d’entrer dans le roulis pour voir ce que c’est. Et on découvre un château hanté. On ouvre des portes qui donnent sur d’autres portes, on dérive lentement, on est soi loin de soi. Ce n’est pas une descente dans les profondeurs, une aventure intérieure, l’autre nom de la vieille introspection. Quand on entre dans le roulis, paradoxalement, on retrouve l’extérieur. Sophocle est là et aussi Shakespeare, et papa et maman, et le grand tamtam du monde. Il faut alors décortiquer, recomposer, coller, disjoindre, bâtir, détruire : écrire. Je crois à des élans de positivité sur fond de terreur, je refuse de dissocier les deux plans, la dissociation est un mensonge.

– LA VÉRITE D’UNE PAROLE n’est pas seulement dans ce qu’elle dit, elle est également dans la façon dont elle le dit. La forme est une conviction.

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Tout mon petit univers en miettes ; au centre, quoi ?

En 1980, l’Ensemble théâtral mobile, dirigé par Marc Liebens, reprend sa mise en scène de « Hamlet-Machine » de Heiner Müller, créé deux ans plus tôt. Dans le cadre de la préparation de cette reprise, Michèle Fabien, dramaturge de l’ETM, entame une correspondance avec Bernard Dort, publiée dans le numéro 3 d’Alternatives théâtrales en février 1980. Partie 1/2.

Bruxelles, le 11 novembre 1979.

Cher Bernard Dort,

Hamlet-Machine
Heiner Müller
H… M…

Tout texte s’inscrit dans un espace inauguré par son titre et clôturé par le nom de son auteur… Il ne me paraît pas gratuit de commencer cette correspondance par le rapprochement de ce qui se trouve, normalement, séparé par le texte.
H. M. se divise en deux.
N’est-ce pas une façon d’entrer dans le vif du sujet? Le sujet, dans le texte, n’est-il pas questionné à vif ?
D’ailleurs, au tout début du travail dramatique, nous avons pensé que ce texte pouvait être joué par un seul comédien ou par 25 personnes (si pas 25, 36, ou 5, ou 7…).
Question un peu académique : finalement, pour des raisons économiques, nous avons opté pour une partition à deux voix: une voix d’homme et une voix de femme. Mais avec des moyens financiers, la question resterait valable. Müller, il me semble, met ici en cause, et d’une façon radicale, la notion même de distribution: impossible, dans Hamlet-Machine, d’attribuer le rôle d’un personnage à une personne de comédien. S’il y a une voix d’homme et une voix de femme, d’entrée de jeu, comme personnages, elles se définissent par ce qu’elles ne sont pas/plus: «J’étais Hamlet… » c’est donc qu’il ne l’est plus ; «Je suis Ophélie que la rivière n’a pas gardée», tout le monde sait qu’une Ophélie qui ne serait pas noyée ne serait plus tout-à-fait une vraie Ophélie.

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Parution du numéro 128

« There are alternatives ! »

Le numéro 128 de notre revue paraîtra le 14 avril prochain, jour de sa présentation à La Bellone – Maison du spectacle (46 rue de Flandres à Bruxelles).

En 2016, qu’en est-il du théâtre comme lieu de l’« alternative »?

Ce premier numéro de la nouvelle équipe de direction d’Alternatives théâtrales se propose de réinterroger le titre de la revue.
 Les arts vivants, en rassemblant les corps dans un même espace-temps, sont-ils les lieux privilégiés où réinventer la société ? Quels « autres mondes possibles », quels « autres choix » s’y rêvent aujourd’hui ? Le n°128 proposera un tour d’horizon des pratiques et des traitements artistiques qui affirment que des alternatives à la sinistrose ambiante existent.

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Who’s Afraid of the Big Bad Wolf ?

Durant l’automne 2015, Judith de Laubier a suivi, en tant que stagiaire à la mise en scène, les répétitions de « Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant » de Claude Schmitz, créé aux Halles de Schaerbeek. Journal de création, épisode 1/4 : les origines.

Trois petits cochons vivent modestement dans un appartement bruxellois délabré. « Darius, Stan et Gabriel ». Darius c’est le plus âgé, hard rockeur au chômage ; ensuite il y a Stan, trentenaire nerveux et Gabriel, jeune étudiant aux Beaux-Arts. Leur situation précaire ne s’arrange pas avec l’arrivée du parasite-Benoît, un vieil ami de Darius, devenu SDF qui s’installe progressivement dans l’appartement jusqu’à se construire une petite cabane au milieu du salon.

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Le théâtre de consommation culturelle

« Accents toniques » est un recueil de notes, la plupart inédites, rédigées depuis 1973 par Jean-Marie Piemme.
Extrait 1 : note du 6 décembre 2015.

Le théâtre de consommation culturelle se satisfait vite de la prestation « Canada dry » qui, selon sa publicité, ressemblait à de l’alcool, mais n’était pas de l’alcool. La consommation culturelle aime le simili : cela ressemble à une démarche artistique, mais ce n’est pas une démarche artistique. C’est un surf habile sur les vagues du goût moyen, un produit attractif sensé satisfaire une attente bien disposée que l’exigence artistique ne taraude pas. Le théâtre de consommation culturelle est un théâtre paresseux. Il est paresseux à la façon de ces élèves doués qui pourraient faire des étincelles, s’ils le voulaient, mais se satisfont d’une note présentable, une note en tout cas qui n’indisposera pas les parents. C’est qu’il y a souvent un immense talent dans le théâtre de consommation culturelle. Le théâtre de consommation culturelle aime les valeurs sûres, le reçu, le canonique, le déjà digéré, les grands noms, les grandes réputations. Des grecs à Shakespeare, de Molière à Tchekhov, de Goldoni à Ibsen : les œuvres de haute qualité ne manquent pas, dieu merci. Deux-mille cinq cent ans de théâtre ont accumulé des joyaux dans les caves de la culture. La qualité des propositions textuelles peut facilement être assurée. Mais le théâtre de consommation culturelle a pour vocation moins d’interroger cette qualité, d’explorer la résonnance de celle-ci dans un monde changé, dans une historicité qui bouge, de la mettre en rapport avec notre moment historique, que de transformer sa puissance de vision en marchandise culturelle. Le public est ainsi assimilé à un ensemble de clients qui aiment les placements artistiques sûrs et ne souhaitent pas acheter un chat dans un sac.

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Microteatro

Avant son arrivée à Paris, retour sur l’expérience madrilène du « Microteatro »

Fondé à Madrid il y cinq ans, sous les auspices de la crise financière, le Microteatro-Madrid est né dans une ancienne maison close madrilène. « Micro » parce qu’il s’adresse à un petit groupe de personnes à la fois, parce que chacune des pièces de courte durée est jouée dans un espace minuscule, le Microteatro répond à la macro-ambition de s’adresser à des publics nombreux et variés en leur offrant une proposition théâtrale originale. Parce qu’ils n’ont pas voulu se résigner à la décroissance culturelle comme seule réponse au déficit économique, les fondateurs à l’esprit libertaire ont imaginé ce concept artistique et culturel en dehors des réseaux subventionnés. Leur rêve de démocratisation culturelle ayant fait ses preuves en Espagne, ils ont décidé de développer un projet similaire dans l’hexagone. Le Microteatro-Paris doit voir le jour en 2016. Continuer la lecture « Microteatro »

Un banquet royal

À propos de « Reflets d’un banquet » mis en scène par Pauline d’Ollone au Théâtre de la Vie (Bruxelles, décembre 2015)

Quoi de mieux pour terminer l’année 2015 que d’assister au Banquet de Platon, au si bien nommé Théâtre de la Vie, tous deux (texte et espace) revisités par Pauline d’Ollone et six comédiens fabuleux.

Remémorons-nous ce texte alors que nous essayons péniblement de nous remettre de notre gueule de bois post-réveillon et de manière à débuter l’année par de bonnes résolutions : relire nos classiques fondateurs, en particulier grecs.

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Lire ou relire les « Lettres à un jeune poète »

Bernard Debroux, fondateur d’Alternatives théâtrales, a relu Rainer Maria Rilke.

Il n’est qu’une seule voie. Entrez en vous-même…  Rilke
Entre 1903 et 1908 , Reiner Maria Rilke écrivit dix lettres¹ en réponse à Franz Kappas qui lui demandait de réagir à ces premiers poèmes.

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Luc Bondy et le grand intérieur

Texte publié en 1993 dans le n°44 d’Alternatives théâtrales « Théâtre et vérité »

«La vérité se trouve au commencement» conviction souvent reprise que l’abus d’usage n’a pourtant pas galvaudée. Et pour le spectateur français, l’identité de Bondy reste inscrite dans Terre étrangère de Schnitzler, le spectacle de ses débuts parisiens. Depuis, il n’a pas cessé de varier cette image sans jamais la démentir. Oui, au coeur de son territoire, Bondy, je l’ai découvert ce soir-là. Sans désir de fuite, ni agressivité programmée, Bondy parvenait alors à exalter le théâtre comme art où la vie se laisse explorer dans sa matière même. Sans qu’il se confonde pour autant avec elle. Si, pour Brook, le théâtre c’est de la vie concentrée, pour Bondy c’est de la vie accentuée.

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